Dominique aura été l’un des premiers à me reconnaitre comme poète. J’organisais à l’époque un festival de musique contemporaine en région parisienne (Futurs/Musiques, aujourd’hui devenu Sons d’Hiver), je tenais des chroniques de musique contemporaine dans quelques journaux (Révolution, Le Monde de la Musique, Les Lettres Françaises…) : c’est comme ça que j’ai découvert Musique Action, dont je suis tout de suite devenu un fidèle. J’avais parlé à Dominique de faire des interventions poétiques dans le festival, un projet encore flou, et puis – je crois que c’était suite à un livre que j’avais écrit pour l’AFAA en 1994 – il m’a demandé un texte, pour une expo de photos pour un anniversaire du festival, si je me souviens bien : je vous l’envoie. J’avais écrit ce texte comme un manifeste, qui m’a encore guidé en 1997 quand j’ai été nommé au Biplan de Lille. Dans ce lieu, Dominique m’a aidé pour une programmation de musiciennes japonaises (Tenko et Ikue Mori), en me permettant de les inviter au passage à Lille pour un tout petit cachet, fauchés que nous étions. Par la suite, il m’a invité à Vandœuvre pour un spectacle avec « Le concert impromptu » autour d’un de mes bouquins, Le récit du Monde. Avec Dominique, nous n’étions pas intimes, je n’ai jamais rien su de sa vie personnelle, mais j’aurais mille anecdotes, rencontres, échanges à raconter. Humainement, c’était du bronze : solide, taiseux, fidèle, homme de parole. Une espèce bien rare.
La maison des éveilleurs
Fragiles du cœur, hypothétiques de la sensibilité auditive, coincés du bulbe, sectateurs racornis de la grand-messe sonore des supermarchés, tristes amateurs solitaires de la musique décaféinée, lyophilisée, pasteurisée, moulée à la louche, « jeunes oies édifiantes », consommateurs malins, calculateurs des intérêts composés et conservateurs des hypothèques, passez votre chemin.
En revanche, bienvenue en ce lieu à tous ceux qui n’ont pas froid aux oreilles, aux agités du bocal, aux chercheurs d’or qui tamisent patiemment les rivières sonores de demain, bienvenue à ceux que la curiosité dévore, que la passion des expériences musicales insolites ravage, à ceux qui savent entendre la tempête dans le calme de la nuit des déserts lointains.
Abstenez-vous, ceux que bouleversent les tisanes tièdes « saveurs du soir », ceux qui mettent une ceinture et des bretelles, vous les heureux possesseurs de nains de jardins, vous qui faites du muscle en trente jours sans vraiment vous fatiguer avec le dernier modèle d’électro-vibro vu à la télé : ne venez pas ici, ou apprêtez-vous à être malheureux.
Mais vous qui aimez l’air pur et rare des sommets musicaux peu fréquentés, vous à qui la musique parle d’un aujourd’hui rauque et dur et pourtant avide d’humanité chaude et moite, vous qui mettez du piment dans le café noir, qui goûtez la cardamome et la coriandre, vous que le mot « amour » ne fait pas ricaner bêtement, votre place vous attend ici, au milieu de la longue chaîne des explorateurs de musiques.
Fuyez, glauques tripoteurs de la sensiblerie publique, normalisateurs impudents, précautionneux d’une postérité qui se moquera de vous, nageurs en musiques troubles, minables épiciers de l’art des sons, balayeurs de l’escalier des morts, votre crâne blanchi pleure des larmes de poussière, votre place n’est pas ici.
Ici on est fragile, rieur, amoureux, complice, navigateur de pleine mer, c’est la maison des partageux, des porteurs de mémoire, des coureurs nocturnes, des architectes de l’impalpable, des visionnaires fiévreux et des chahuteurs de sonorités. Ici on fait musique du bruissement des insectes et des avalanches de pierres et du vent des ténèbres dans le désert et des rires et des pleurs.
Censeurs imbéciles, bigots crapoteux d’un académisme ranci, grenouilles clapotant misérablement dans les bénitiers fêlés des musiques moribondes, adeptes moisis d’un conformisme obscène, cagots et contempteurs intéressés de toute nouveauté, sachez-le : ici on se rit de vous, vous êtes ridicules, vous êtes morts.
Ici c’est la vie qui règne, avec ses grouillements, ses tentatives et ses errements, ses réussites, son souffle court et sa vision lointaine, et sa machinerie infernale sans cesse domptée par des musiciens au cœur impavide.
Sur notre scène, pas d’illusionnistes mais des magiciens, pas de poudre aux oreilles mais des musiques, des images, coulées dans un bronze évanescent et défiant le temps, pas de miracles douteux, mais une lente élaboration, une maturation grave et patiente, tout ce qui donne valeur aux sons et aux choses.
Clones affadis, reproducteurs sélectionnés, publicitaires escamoteurs, mercenaires décatis de toutes les soupes musicales, sicaires abrutis et janissaires obtus, mangeurs de charognes, vous ne monterez pas sur nos planches. Les enfants vous jetteront des pierres et vous appelleront oreilles-de-plomb et vieilles vaches, tandis que les grands s’embrasseront dans les coins et que tout le monde vous oubliera très vite.
Ici c’est la maison du rêve, ici ce n’est pas un endroit où tout le monde est roi, c’est un endroit où personne n’est roi. C’est l’empire des sons.
Aux rêveurs de jonques et de Babylones improbables, aux imaginaires de Bételgeuse, aux astronomes de la musique, à vous qui dessinez des oiseaux de brume, aux voyageurs sans bagages : salut et bienvenue.
Michel Thion / Poète
Je ne connaissais pas Dominique Répécaud personnellement, mais à chaque fois que je l’ai vu sur scène, j’ai été impressionné par tant de sincérité, d’authenticité et d’engagement. Dominique influença alors mon approche instrumentale (à la guitare bien sûr) : lui et d’autres m’ont permis de me détacher des approches conventionnelles instituées. Comment se libérer des carcans sans complexes ! Je reste aussi très admiratif de son engagement culturel, et donc forcément politique.
Fabrice Favriou / Musicien
Avec Dominique, nous nous étions récemment revus sur le tournage du dernier film de Masaki.
Moi – Dominique ?! Qu’est-ce que tu fais là ?
Lui – Et toi ?
Moi – Acteur, technicien de surface, intendance…
Lui – C’est très bien…
En juillet 2016, dans le dernier film de Masaki Iwana tourné au Centre franco-japonais de Tenri à Paris, Monsieur Répécaud, guitare en main, un boss un peu ambigu, imposant, s’ennuie… Casting d’acteurs japonais… Rôle équivoque, dans un film érotique sûrement… Une seule réplique : « Rikiki »… On pousse un infortuné devant Dominique, qui se détourne de sa guitare une seconde et lâche l’implacable sentence : « Rikiki »… Impérial et définitif !
Ce respect immédiat, mêlé à une humanité rare, à une vraie sensibilité et à une intelligence des choses et des mots : voilà la stature d’un musicien superbe, d’un organisateur efficace et d’un homme simple, chaleureux, et génial. Passer quelques instants à discuter, à construire, à boire et rigoler… Une vie… Le soleil tardif laissait un ciel sauvage s’abraser aux pointes des tours de la Conciergerie, aux bords de Seine, tout au bout de la rue Bertin Poirée, face au quai de l’Horloge…
J’ai gardé le fragment de flyer d’un atelier de tissage Japonais, Kumihimo, où il m’avait laissé son téléphone. Je n’ai pas encore osé le jeter.
Claude Parle / Musicien, Paris
J’ai très peu connu Dominique, et trop tardivement. Très tardivement, et surtout trop peu. Lors de quelques réunions seulement, mais j’ai quand même eu cette chance, cette immense chance d’avoir entendu cette voix qui parlait beau et juste, et qui savait traduire avec force ce que je pensais. Qui me parle encore. Et encore.
Christian Schott / Jazzpote festival, Thionville
Nombreux sont ceux qui lui doivent un peu de leur culture musicale, une oreille attentive, un coin de scène, ou un bout de studio…
Serge Burghard / Musicien
Souvenir d’un voyage Verdun/Vandœuvre avec Dominique, où nous avions parlé du coté haïtien du travail de Marc Ribot et des guitares orchestrales du groupe de King Sunny Adé, moment qui me reste chaud au cœur. Dominique, merci pour tous ces nombreux moments partagés que tu as initiés. Salut l’ami.
Patrick Bœuf / Activiste
Dominique Répécaud, Dino, a été un grand passeur de musiques. Il serait inutile d’énumérer ici ce qu’il m’a permis de découvrir, des émotions musicales lors de Musique Action à son rôle de producteur de disques pour le label Vand’Oeuvre, ou encore grâce à ses chroniques dans Revue & Corrigée. Il y a des personnes qui contribuent modestement à changer le monde, à ouvrir des perspectives, à créer des collisions inattendues. Il en faisait partie. Je ne lui ai jamais vraiment parlé, et on regrette toujours ce genre de choses une fois que la personne est partie, trop tôt, trop tard… Merci.
Hugues Roulon / Journaliste, Freesilence
Une nuit avec Guigou Chénevier et Dominique Répécaud, chez lui à Vandœuvre, il y a environ trois ans… J’étais au CCAM pour bosser sur un projet de Guigou en compagnie de Thomas Barrière, et j’enchainais sur la création d’une performance solo mise en scène par Perrine Maurin ; j’avais donc un peu de temps à perdre entre les deux créations, et Guigou était encore dans les parages. Par chance, Dom nous invite chez lui le soir même. Après avoir (enfin) goûté sa recette des pâtes carbonara, nous filons au salon où son immense discothèque occupe un quart de la pièce. Les deux compères sont d’humeur cocasse et bouillonnante, séance d’écoutes oblige. En bon cadet de soirée, je leur demande de choisir du cru pur jus, et ils s’exécutent avec plaisir. The Captain (Beefheart), à fort volume, les deux loups jubilent : Dom mime la ligne de basse tonitruante qui est jouée, Guigou renchérit derechef par de puissants éloges. Tellurique. Ne serait-ce pas là la meilleure manière de découvrir Beefheart ? Dom enchaine sur Art Bears, tout un album y passe, j’entends Dagmar Krause pour la première fois. Les verres à vin ne désemplissent pas, le volume sonore non plus, et l’étroit salon est empli de fumée. Un peu plus tard, l’écoute de l’album Deceit, de This Heat (peut-être le best of, pour Dom), me met en joie… C’est l’heure du digeo. Nous passons dans la pièce à côté pour regarder un documentaire sur le groupe Crium Delirium et toute la période psyché 70, bigarrée en veux-tu en voilà. Dom a son regard pétillant et malicieux, il est heureux de faire découvrir ses « pères », ses fulgurances, ses gifles soniques, son amour du son, des gens. Nos six yeux se ferment doucement sur les bribes psychédéliques de Terry Riley et Alvin Curran. Extinction des feux… Le lendemain matin, je commandais d’office les coffrets Art Bears, This Heat, et une panoplie d’albums truculents que Dom m’avais recommandés. Où comment ces rencontres précieuses suscitent en vous l’envie et la curiosité, vous remplissent, vous font changer de cap, vous questionnent, vous déroutent pour mieux vous apprendre à discerner, à vous replacer dans le monde. Ces rencontres-là sont trop rares pour les laisser passer. Quel chanceux je suis d’avoir pu saisir celle-là…
Bastien Pelenc / Musicien
Jour soir nuit
Le Festival Musique Action, c’est en mai – on pourrait dire Les Nuits de Mai, L’Ouïe de Mai, le Mai Eblouis Sons – les jours les soirs les nuits, c’est dans l’air, c’est à l’intérieur, c’est partout autour de nous, l’attente la grande attente des musiques pas comme les autres parce que imprévisibles, inattendues, inentendues, inconvenues, irradiantes, innervées.
Plonger.
Peter Hollinger monstre de tambour Paul Lovens inside/outside Eugène Chadbourne let’s go back in time Beñat Achiary duende Lê Quan Ninh glissement dans un volume d’air Ana Ban sauvage abrasion Jérôme Noetinger échange cannibale pour deux magnétophones Revox Lionel Marchetti je m’approche je me déplace j’écoute Shelley Hirsch after the separation of the sky and the seas Dominique Petitgand le ton de la voix Camel Zekri Xem Nun Martine Altenburger/Iancu Dumitrescu avec le bruit presque pu Frédéric Le Junter machines à lumière Vincent Barras une parole projetée dans l’espace et le temps Jacques Demierre/Jean-François Pauvros la belle décisive Tony Buck hors de l’équation Pascal Comelade muzak Albert Marcoeur ouvre-toi Françoise Rivalland la grande beuverie Daunik Lazro grands silences et grandes explosions Peter Kowald open secrets Xavier Charles les oiseaux improvisent-ils ? Mickael Nick entre deux pluies Sachiko M filaments Erikm all in all Thomas Lehn source of amusement Fred Frith I’m here, I’m alive, and this is who I am Miya Masaoka crepuscular music Larry Ochs going deep into the outside Isabelle Duthoit ma voix cosmique Rhodri Davies silence is a rhythm too Jim O’Rourke nice to see you once again Ikue Mori high résolution Georges Aperghis le jeu se synchronise sur les pouces The Ex something more like heart Keiji Haino the miracles of only one thing Otomo Yoshihide live in Lisbon Carole Rieussec/Jean-Christophe Campsl’allégresse de la découverte Noël Akchoté tout immersion toute Arnaud Paquotte la mer des aveugles Mahmoud Ahmed erè mèla mèla et derrière chacun chacune de ces musiciens, Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen, Meine Damen und Herren, Señoras y Señores, Dominique Répécaud !
C’est un souffleur, un souffleur de passion, un souffleur de rencontres, un souffleur de moments magiques, un souffleur de créations un souffleur de rêves, un souffleur de sons de bruits de sons de sons bruts bruissants brutants, de sons inouïs de sons incroyables, un souffleur, c’est un écorcheur de cordes, c’est un frotteurs de sons de cordes, c’est un fileur de pointes sonores, c’est un aimanteur un tritureur un exploseur de sons et là, quelque part, une cigarette à la main plissement des yeux bleus sourire dans ce lieu, ce lieu devenu son lieu devenu notre lieu, là – MUSIQUE ACTION !
Anita Navarrete Berbel / Auteur, Nancy
Dominique Répécaud a été un partenaire important pour toutes les aventures musicales contemporaines du CIM, Conservatoire intercommunal de musique de Bar-le-Duc, notamment dans le cadre du festival Musique Action. En mai 2016, Dominique nous y accueillait encore avec enthousiasme, pour permettre à notre aventure avec le compositeur Pierre Jodlowski d’avoir un retentissement national. Sa capacité à être à l’écoute et à faire confiance aux aventures contemporaines avec des « amateurs » – ateliers de pratique artistique de collège ou de lycée, création d’élèves de conservatoires, stages de formation aux langages contemporains – était sans limite : son intelligence et son écoute patiente et généreuse ont permis l’émergence et la réalisation de très nombreuses initiatives. La région, et bien plus, perd un défenseur des pratiques contemporaines de l’art, toutes disciplines confondues, un artisan de son temps, ancré dans le réel et imaginant sans cesse des solutions pour l’avenir. Pour tout cela, et pour l’étincelle de confiance qui pétillait sans cesse dans ton regard, nous garderons un souvenir vivant de toi. Au nom de tous les amateurs qui ont aimé ton accueil et ta bienveillance.
Raoul Binot / Musicien, directeur du CIM de Bar-le-Duc
J’ai eu la chance de connaître Dominique lors de ses venues successives au festival Fruits de Mhère, que je co-organisais à l’époque avec Jacques Di Donato, ou en me rendant à Vandœuvre. J’ai ainsi pu découvrir un personnage entier, exigeant, un musicien engagé, passionné, qui a ouvert mes oreilles, peu habituées à l’époque, à un rock improvisé sans concession. Le souvenir le plus fort ancré au fond de moi est sans nul doute le concert d’Idiome 1238 sur la place du village de Mhère : les murs et les habitants, ensevelis sous le déluge de décibels, doivent encore en garder les traces ; je suis heureux d’être de ceux qui y étaient. D’un abord pas toujours évident, Dominique pouvait sembler difficile à percer. Pourtant, les images qui me reviennent aujourd’hui sont celles de parties de foot endiablées sur cette même place du village de Mhère, et de quelques fous rires partagés. Bien que je n’aie jamais joué avec lui et que mes chemins musicaux aient pris d’autres voies, sa rencontre et les expériences que j’ai eu la chance de vivre grâce à lui sont de toute évidence des briques solides de ma construction personnelle. Alors bien sûr, il va nous manquer, mais j’espère, je sais, que bien d’autres que moi portent en eux des souvenirs aussi forts, qui continuent à les porter dans leurs aventures.
Laurent Fléchier / Musicien
Une chose est devenue certaine depuis que j’ai croisé la route, l’oreille et le regard de Dom : la confiance est devenue une matière palpable et créatrice. L’autorisation de réussir, de créer, de se tromper, d’entreprendre, d’essayer, d’oublier, de revenir ou encore de partir – permet une création. La confiance agit par rhizomes, elle est la source de toute recherche et donne la possibilité d’œuvrer à une transformation personnelle profonde, quelle qu’en soit la forme. Sans concession et avec honnêteté, ce don qu’il a distribué pendant ces années, bénéfique à une société en mouvement, a croisé beaucoup de routes et de chemins en doute et apprentissage. Au détour d’une conversation plus ou moins formelle, les petits mots clefs orientant le regard et l’écoute au sujet du travail du moment pouvaient résonner, parce que seule la bienveillance était le moteur de l’échange. La confiance qu’il recevait en retour était naturellement nourrie par celle qu’il donnait. Sans aucun doute exprimé, et son jugement gardé pour lui, sa bienveillance permettait de se déplacer et de poursuivre une recherche parfois bien fragile. Cette nécessité qu’il avait de suivre les gens, de les regarder, de les consolider sans les brusquer et de les entourer, est sans fin possible. Du temps d’échanges au café à la dernière pour la route du soir, cette confiance en l’autre lui paraissait d’une simplicité primaire : il faisait son boulot. Ouvrir une salle de répète ou encore signer un papier permettant une tournée sur un autre continent d’un groupe débutant sont des gestes créateurs, puisqu’ils autorisent encore un moment de création, et confortent une vie. Et si cette expérience fondatrice et créatrice n’a pas de fin possible, c’est parce qu’elle est déjà déposée, cimentée dans de nouveaux endroits naissants.
Anthony Laguerre / Musicien
Avec Dominique, nous avions pour habitude d’échanger sur nos lectures. Voici les deux derniers ouvrages qu’il m’a confié avoir lu, et conseillé de lire : Marcus O’Dair, Robert Wyatt, Different every time, Le Castor Astral, juin 2016 (commentaire de Dom : « Que c’est mal traduit ! Ca rend la lecture pénible…») ; et George Berger, L’histoire de Crass, Rytrut Editions, juin 2016 (commentaire de Dom : « C’est eux, les vrais punks ! »). Deux biographies. Deux révolutions musicales – anglaises of course – espacées de 10 ans mais peut-être pas si éloignées (rappelez-vous que le nom de Crass est emprunté à un vers de Ziggy Stardust). Deux styles différents, mais certainement pas opposés dans leur façon de concevoir la musique de façon « libre ». Deux parcours inspirant, toujours, en 2017. Pourquoi écrire ceci ? Parce que la querelle des anciens et des modernes, du rock à papa vieillissant et des jeunes avant-gardes bruyantes à fiston, intéressait peu Dominique. Le mal contre lequel il a toujours lutté en matière musicale – lui qui toute sa vie a conservé durant une oreille libre, curieuse, critique et grande ouverte – était le cloisonnement.
You look different every time you come.
Robert Wyatt
Banned from the Roxy O.K. !
I never much liked playing there anyway !
Crass
Hugues Reinert / Musicien, comédien et metteur en scène, Metz
J’ai accompagné les dernières aventures sonores des Massifs de Fleurs. A l’issue d’un de leurs concerts à Biarritz, après avoir trainé la nuit et bu des coups, nous avons enfourché notre véhicule. J’ai glissé discrètement le disque d’Howlin’Wolf, Moanin’ in the Moonlight… Frédéric Le Junter s’est mis à hurler, chanter, puis il est revenu sur terre et a interpellé Dominique: « Dis-moi, Dom, Captain Beefheart, il a du écouter ça ?! ». Dominique a acquiescé, et a tiré sur sa clope, un petit rictus à la commissure des lèvres… J’ai ensuite enchainé avec Rock Bottom, de Robert Wyatt. Alors il m’a dit : « Tu sais d’ou ça vient, Ana Ban ? C’est l’anagramme de banane, parce qu’elle est évoquée dans trois disques fondateurs pour moi : celui du Velvet Underground et Nico, Banana Moon de David Allen, et Bananamour de Kevin Ayers »… Le disque s’est fini, nous nous sommes garés, et il a conclu : « C’était bon, ça… ».
Yan Beigbeder / Einstein on the Beach, Bordeaux
Un petit verre de blanc ou une ballade à vélo sur les routes du Revermont, une guitare qui sonne, sonne, un baiser volé qui me heurte, danser au son d’Etage 34, et faire danser les enfants aussi, une soirée chez toi avec Hervé Gudin… Pas vraiment eu le temps de te rencontrer, Dominique, mais tu m’as toujours impressionnée.
Emilie Borgo / Danseuse
La première fois que j’ai rencontré Dominique, c’était en Autriche, à Wels, lors du festival Unlimited, où il joua avec son power trio Etage 34 et la chanteuse japonaise Tenko. Et ça m’a fasciné, parce que même après beaucoup d’expériences de musiques alternatives, c’était quelque chose de nouveau pour moi. Alors je suis allé lui demander quelque CD pour les passer dans mon émission de radio, qui s’appelait « The World of Another Music ». Il m’a donné tous ceux qu’il avait avec lui (et je ne fus pas le seul journaliste à repartir avec beaucoup de CD), et il m’a aussi invité à Musique Action, en me promettant qu’il me donnerait les CD manquants. Ce fut le premier défi. Alors je suis allé à Vandœuvre avec des amis, et j’y ai découvert un des meilleurs festivals imaginables. Nous avons même dormi chez Dominique, et j’ai ainsi pu constater qu’il ne prenait pas le temps de dormir, et qu’il pouvait malgré tout rester amical avec tout le monde, paraitre toujours frais, sans le moindre stress. Je suis revenu à Musique Action deux fois, le festival était toujours aussi incroyable, et Dominique a continué à me donner toutes les possibilités d’accès. d’être sur le festival. Ensuite, j’ai eu l’occasion de l’inviter à Prague avec Soixante Etages pour notre festival Alternativa, et leur concert fut absolument génial. A ce moment-là, mes musiciens préférés étaient les Australiens Baxter/Brown/Pateras, et j’avais pensé que cela pourrait être bien de les inviter aussi ; mais Dominique avait un temps d’avance et les avait déjà invités pour le Musique Action de l’année suivante. Dominique continua à m’envoyer tous ses disques, et je les passais en radio. J’ai été complètement stupéfié par son dernier groupe, Praag : le nouveau défi était d’inviter Praag à Prague, et c’était prévu pour cette année, mais malheureusement le projet ne pourra pas aboutir du fait de son départ inattendu dans une autre dimension. Alors j’ai composé un programme en hommage à Dominique pour la radio tchèque. Au moment où nous passions un titre de l’album de Praag, une femme qui habituellement joue une sorte de musique classique contemporaine, de musique classique en fait, est arrivée pour nous demander quelque chose au sujet de sa radiodiffusion : elle dût attendre, et écouter la musique jusqu’au bout ; et à la fin, elle était tellement enthousiasmée par ce qu’elle avait entendu, qu’elle nous dit qu’elle était très triste de ne pas pouvoir jouer une musique si merveilleuse, qui est en fait la vraie musique classique contemporaine. Ce qui signifie que la musique de Dominique continuera à avoir des amateurs dans plein de milieux différents, et que le travail de toute sa vie ne mourra jamais, parce qu’il aura encore beaucoup d’adeptes. Remercions Dominique, pour son esprit qui sut étendre la notion même de musique dans l’esprit de tant et tant de personnes.
Petr Slabý / Journaliste musical et vidéaste, Prague, République Tchèque
Souvenir de Répécaud : on a dit qu’il fut le Neil Young français, OK ! Je ne suis allé qu’une seule fois au festival Musique Action. Nous dormîmes chez l’oncle Gilles, fan des Beatles. Il y avait cette année-là Eugène Chadbourne avec ses filles, et Pere Ubu sans ses filles. Après les concerts, il fallait rentrer mais il était tard. Avec mon ami Jedrek Zagorski, nous fûmes embarqués par un conducteur qui n’avait qu’une seule main : je me rappelle que Jedrek était terrifié. Ce fut une bonne soirée. Chapeau Répécaud !
Romaric Sobac / Musicien, Saint-Nazaire
Durant l’année 1998 j’ai appelé Dominique et nous nous sommes ensuite rencontrés dans un café en bas de chez moi. J’habitais alors à Paris. Lors de cette discussion, je lui proposais alors de sortir un enregistrement de lui comme musicien pour la collection In Situ. Il faut dire que plusieurs enregistrements de la collection avaient été faits en collaboration avec le CCAM de Vandœuvre-Lès-Nancy et que par ailleurs, il me semblait naturel de faire entendre à travers ma collection le travail qu’il faisait. Cette collection pour moi se devait d’être représentative de ce qui traversait notre époque même si c’était une toute petite collection. Je désirais faire entendre cette énergie « brute » et forte qu’il portait. Tout de suite, en gentleman qu’il était, il me proposa un parcours sonore ou la guitare servant de fil conducteur se mélangerait à la musique d’autres musiciens. Je crois bien que chez cet homme, la responsabilité collective et la responsabilité individuelle étaient intrinsèquement liées. Durant l’année 99 il enregistra donc avec plusieurs compagnons de route qu’ils côtoyaient *. Le disque sorti en 2000 et fut remarqué dans Jazz Magazine et le Monde, nous en avions bien ri. En même temps, Dominique considérait la musique proposé dans « ana ban » comme un disque de Blues Blanc ce qui je crois correspond très exactement à cette énergie. Comme toujours il se mit au service de la musique et donnait corps à une vision collective de la diversité artistique. Avec cœur, ténacité et conviction. Comme il le dit si bien: « c’est un disque de croisements » et j’ajoute sous le signe de sa diversité. Tout le long, on ne sent que la nécessité d’être en relation avec l’autre certaine fois presque à s’y confondre avec Laurent Dailleau par exemple et Hervé Gudin ou Lê Quan Ninh ou Dominique Grimaud. D’autres fois en étant tout contre comme avec Daniel Koskowitz, Frédéric le Junter ou Daunik Lazro ou encore Olivier Paquotte. Ou en une sorte de complément de strates comme avec Jacques Debout, Jérôme Noetinger, Xavier Charles ou Kristoff K. Roll. A d’autre moment comme si il était dans une humeur parallèle avec Michel Doneda, Martine Altenburger. Mais cela n’est pas l’important, car ce qu’il raconte de lui avec les autres à travers sa guitare nous raconte une époque extrêmement vivante de la musique, en dehors de tout conservatisme et en même temps, c’est bien cette guitare si particulière qui relie le tout et qui en éliminant le principe des plages affirme la volonté de fabriquer un objet dans lequel toutes les diversités sont possibles. Dans le livret il affirme qu’il faut l’écouter fort et en stéréo. J’ai envie de dire qu’on peut absolument l’écouter très doucement la nuit avec un bon vin blanc du Jura. Dominique était un vrai gentleman.
- En réalité, pour la majorité des musiciens, cela s’est passé ainsi : Dominique a demandé à chacun de lui envoyer « quelque chose » sur lequel il jouerait. Il y a peut-être des exceptions où ils se sont retrouvés en duo physique en studio. Ensuite Dominique a décidé l’ordre. Puis en studio, il a improvisé dans la continuité. Plusieurs fois, peut-être. (NdR)
Didier Petit / Musicien