CANTI SENZA PAROLE / CANTI SENZA PAROLE
MARIO CAROLI
CANTI SENZA PAROLE
STRADIVARIUS STR 33860
Distribution : Distrart
CD
Le premier est flûtiste. Originaire d’Italie, il est devenu l’un des principaux interprètes de musiques contemporaines pour son instrument. Le second est une formation à géométrie variable née à Strasbourg autour de son chef Jean-Philippe Wurtz et, à
l’occasion d’une prestation ou d’un enregistrement, n’hésite pas à inviter le premier. Ce qui est le cas sur l’enregistrement présent.
« Canti senza parole » (chants sans paroles) est toutefois relativement éloigné d’une certaine pratique de la musique contemporaine, du moins de sa complexité pour certaines oreilles, d’autant plus que l’enregistrement inclut des pièces du répertoire classique, voire baroque (Marin Marais, Giulio Caccini, Félix Mendelssohn-Bartholdy…). Le terme de répertoire est d’ailleurs surfait puisque Mario CAROLI s’est attaché à des œuvres peu jouées, et/ou non composées pour son instrument. L’auditeur a ici affaire avec une œuvre intimiste et tout y concourt. Le lieu d’abord : le Concert Hall de l’Akiyoshidai Art Village au Japon, réputé pour son exceptionnelle acoustique. La pratique elle-même : pendant une dizaine de jours, il s’est laissé guider par son inspiration vagabonde au point d’avoir finalement capté près de cent cinquante pièces (ce recueil n’en a gardé que treize!), en prise directe, en conservant quelques sons environnants (grillons, cigales…) que l’auditeur devine plus qu’il ne les entend. Une atmosphère presque champêtre, souvent recueillie, parfois empreinte d’une douce mélancolie (« Dolorosa » de Kurtag, « Solitude » de Magnus Blöndal Johansson), évoquant au détour quelque légende (le « Syrinx » de Debussy n’est pas sans rappeler le faune surgissant des eaux glacées de Scandinavie, prétexte à des happenings lors de l’édition 2009 du Hagenfesten de Dala Floda, cf. Improjazz n° 160), très intériorisée et par-là même fragile et captivante.
On retrouve ce recueillement dans « Cadenza« , interprétée en soliste par Mario CAROLI qui clôt l’enregistrement que l’ensemble LINEA consacre à Peter EÖTVÖS. Cette dernière production du compositeur hongrois propose, en dehors de Psy (1996) des œuvres récentes qui s’échelonnent entre 2003 (1re mouture de « ErdenklangHimmelklavier nr.2« ) et 2008 (« Cadenza« ,
« Octet plus« ) souvent en création. Finement, l’auteur intègre dans ses compositions ses propres référentiels, des compositeurs Béla Bartok (« Sonata per sei » en est une évocation, particulièrement le saisissant 4e mouvement) et Berio (« Erdenklavier…« ), de Tchékhov (« Natasha » reprend le personnage de la femme d’Andrei, frère des Trois sœurs, opéra créé en 1997, et le titre « Un taxi l’attend, mais Tchékhov préfère aller à pied » est
explicite !), de Beckett (« Octet plus« ), au jazz (certains des mouvements de la « Sonata« ) et au recours discret à l’électronique. L’Ensemble LINEA se meut dans cet univers particulier avec une complicité évidente (Jean-Philippe Wurtz s’est formé au contact du compositeur hongrois, un temps chef de l’Intercontemporain), épousant, à l’image des pianistes Benjamin Kobler et Reto Staub, la variété des approches, de l’exubérance jazzistique du 3e mouvement de la « Sonata per sei« , aux tourments de la fin de la vie de Bartok (4e mouvement de la sonate), à un jeu relevant presque des « Études pour piano mécanique » de Nancarrow (5e mouvement), avant de s’égarer (pour le premier d’entre eux) dans les errances de Tchékhov (« Un taxi…« ). Les vents (2 trombones, 2 bassons, 2 trompettes, 1 clarinette et une flûte), servis par des interprètes d’origines géographiques diverses (Japon, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie…) et de pratiques variées (ainsi le trompettiste Stephen Altoft travaille par ailleurs sur la microtonalité de la trompette…), diversité qui est une des marques de fabrique de l’ensemble LINEA, proposent avec « Octet plus » une délicate mise en sons de l’espace dans lequel s’insère la voix (la soprano Allison Bell)…
Cet enregistrement permet ainsi de plonger aussi bien dans l’univers musical d’un des compositeurs actuels des plus féconds, tout en découvrant une formation attachante dont la seule présence discographique datait d’une dizaine d’années (Ivo Malec « œuvres pour orchestre et formations de chambre« .
PIERRE DURR