SOME OTHER ZONGS
DAUNIK LAZRO
AYLER RECORDS AYLCD-123
Distribution : Orkhêstra
CD
Le titre du dernier opus solo de Daunik Lazro, au saxophone baryton, est modestement programmatique : « some other zongs » – quelques autres chanzons… Manifestement il s’agit bien de cela : quelques chanzons d’un type plus tout jeune qui se remémore et réinvente toujours les mêmes airs (chez les humains n’existent qu’une petite poignée d’histoires – selon John Ford il me semble –, et quelques chanzons seulement – les mêmes encore à refaire en les faisant varier.) L’ouverture du disque en atteste, où Lazro souffle un refrain du vieil ami Joe McPhee, et évoque irrésistiblement cette autre ouverture « De la ritournelle » de Deleuze et Guattari : « Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s’arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s’abrite comme il peut, ou s’oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l’esquisse d’un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos… » On pourrait entendre la suite du disque comme une clarification de l’esquisse, qui jamais néanmoins n’est achevée. Mais à force de rigueur dans la chanzon, au bout de la tenue de sons multiples, au travers de la voix-même soufflée dans le tube de cuivre, 10 ans après un premier recueil solitaire et par la grâce d’un son de baryton sans pareil, ce petit chapelet de zongs se donne finalement pour ce qu’il est, de manière bouleversante dans l’ultime perle de 17’40 (et accessoirement donne une indication d’à quoi pourrait servir l’art, un art servi à telle pénétration…) Car, comme si dans le noir son souffle suspendait un instant le souci d’être perdu, Daunik Lazro atteste tout simplement de sa propre présence : il consiste un peu, encore. Et ce faisant (miracle que cela fonctionne avec un enregistrement !), il atteste de notre présence : il faut notre oreille pour accomplir ce souffle, qui nous met en présence de ce très grand artiste, et nous met en présence de nous même. Aucun espoir, ni rédemption : juste l’intuition, la certitude un instant, qu’on est là.
HENRI JULES JULIEN