BECOME OBJECTS OF DAILY USE / A COLOR PHOTO OF THE HORSE
Un label polonais et un nouvel éditeur américain viennent de sortir chacun un Trophies. Derrière ce nom, se cache son initiateur, l’Italien Alessandro BOSETTI, qui troque de plus en plus souvent son saxophone contre la voix et l’électronique (cf. son CD, déjà sur MonotypeRec., « Royals »). TROPHIES tend à devenir un groupe permanent, du moins en partie. En son sein, seul BOSETTI assure les voix (ce qui n’était pas le cas dans « Royals », et il s’adjoint un partenaire, apparemment régulier, le Japonais Kenta Nagai pour la guitare. Le tenant de la batterie diffère toutefois. Dans l’enregistrement réalisé à Berlin (« Become… »), c’est Tony Buck qui s’y colle. « A Color Photo… », enregistré à Brooklyn, c’est Ches Smith.
L’esprit de l’enregistrement reste le même bien que l’on sente quelques nuances entre les deux enregistrements. Rythmes, loops, bruitages divers, au service de textes, essentiellement dus à BOSETTI bien qu’il y ait quelques emprunts à des écrivains, tels W.G. Sebald, A. Campbell, J. Mander…, sont déclinés en, respectivement, 8 et 6 pièces. Les textes, dont l’un est en hommage à une artiste franco-américaine Louise Bourgeois, qui venait de décéder à l’âge vénérable de 99 ans, sont en général récités, type sprechgesang, parfois plus modulés et chantés comme dans Spaceship, par ailleurs la pièce la plus calme du premier recueil et au rythme moins groove, le tout au service d’un cheminement nouveau dans la musique improvisée. Car si les mots sont en anglais, l’auditeur est surtout touché par leurs phrasés, leurs sons et l’atmosphère qui s’en dégage en liaison avec l’instrumentation. Dans la plupart des titres enregistrés à Berlin, la guitare a tendance à épouser le rythme et le débit des récitations (un peu comme René Lussier dans Le trésor des langues), en arpèges ou accords rapides, lorsqu’il n’emprunte pas des sonorités plus extrêmes plus ou moins convulsives.
La répétitivité des loops, la diction adoptée confèrent au premier recueil un côté éminemment hypnotique, appuyé – dans le premier enregistrement – par la batterie de Tony Buck un peu à la manière de son jeu au sein de The Necks. Cette atmosphère de transe sonore subsiste encore dans « A Color… » mais elle a tendance, dans certains titres, de se déliter dans une pratique improvisatrice plus marquée. En effet, l’enregistrement newyorkais apparait plus brut et le guitariste s’écarte davantage de ces parallélismes à la voix, adoptant entre autres des ambiances plus linéaires (comme dans le titre éponyme). Alessandro Bosetti use aussi de sons plus variés (celui du piano par exemple), tandis que Ches Smith use de rythmes plus variés, presque martiaux, comme dans la dernière pièce, Istruzioni.
PIERRE DURR