CHANTS POUR L’AUTRE MOITIÉ DU CIEL – BUTSUMYÔE / SAPPHO HIKETIS
JEAN-CLAUDE ELOY
HORS-TERRITOIRES HT 17-18
Distribution : Metamkine
CD
La cérémonie du repentir (Butsumyôe, d’après le roman Vie d’une amie de la volupté de l’écrivain japonais Ihara Saïkaku) et Sappho implorante (Sappho Hikètis, composition inspirée par les vers de la poétesse grecque, notamment l’invocation à Aphrodite) : deux œuvres écrites pour des chanteuses exceptionnelles, Yumi Nara et Fatima Miranda, et que Jean-Claude Eloy a voulu indissociables. L’enregistrement est celui d’un concert donné en 1994 au Festival Automne de Varsovie. Dans Butsumyôe Yumi Nara a la voix principale et Fatima Miranda l’accompagne. Les rôles sont inversés dans Sappho Hikètis.
Butsumyôe est une pièce entièrement acoustique, où les deux chanteuses utilisent une grande variété de percussions. Il s’agit d’une narration, nous sommes donc à mi-chemin entre le « parlé » et le « chanté » comme dans certaines musiques traditionnelles, notamment japonaises. Pour Jean-Claude Eloy cet entre-deux constitue un champ de possibles extrêmement vaste, qu’il a exploré minutieusement avec Yumi Nara en veillant à toujours mettre les techniques vocales au service de l’expressivité. Yumi Nara chante (parle, déclame, profère, psalmodie, joue, et bien d’autres choses encore, les mots manquent…) en japonais ancien d’Osaka. Au-delà des prouesses vocales, la voix de cette chanteuse est de celles qui peuvent donner instantanément la chair de poule. Même si l’on ne comprend pas le texte, toute la force émotionnelle de la situation décrite par Saïkaku nous est transmise de plein fouet. L’accompagnement de Fatima Miranda y est également pour beaucoup. Cette dernière maîtrise elle aussi un éventail impressionnant de techniques avec, entre autres, un très beau passage de chant diphonique. Ce qui est remarquable chez Jean-Claude Eloy, c’est cette capacité d’assimiler des procédés, des genres, des traditions, sans jamais les reproduire simplement. Le compositeur se renouvelle ainsi sans mal, ses créations ont toujours quelque chose d’inédit, se situent toujours « hors territoires ».
Dans Sappho Hikètis les chanteuses sont accompagnées par une bande magnétique réalisée en 1984-86, avec des sons préenregistrés de percussions en métal. L’électroacoustique est donc très présente, donne une toile de fond grave et sombre, comme une grande nappe d’eau souterraine agitée de violent remous. Mais bien sûr ce sont là encore les voix qui rendent la pièce si saisissante. Le spectre de sonorités couvert par Fatima Miranda est tel qu’il est stipulé dans le livret que sa voix n’a fait l’objet d’aucune transformation artificielle, d’aucune modulation en direct si ce n’est une légère amplification compte tenu de la prégnance du dispositif électroacoustique. Ces voix implorantes nous traversent de part en part. Sappho Hikètis est deux fois moins longue que Butsumyôe, mais d’une intensité bouleversante. On ne sort pas indemne de l’écoute de ces deux compositions.
YANN LEBLANC