MASAYO KOKETSU

FUKIYA

RELATIVE PITCH RECORDS, CD, RPRSS011 – 2022

Je l’ai vue une fois dans un petit club jazz de Kyoto, le Blue Note, elle y jouait surtout des standards, Parker, Coltrane, Dolphy je crois, d’autres souffleurs afro-américains. Un jazz comme on en entend beaucoup au Japon, révérencieux, scolaire, mais aussi amoureux de ces grandes figures historiques, jazz arrivé là par les bateaux venant de Shangai ou de San Franscisco. Puis il y eut, dans les années qui suivirent l’après-guerre, l’occupation par l’administration américaine, avec ses GI’s qu’il fallait distraire, leur permettre de garder un lien avec l’American Way of Life. Après des années passées à imiter ce que diffusait la radio, la scène locale finit par se remettre en question, chercher sa propre voie : Kaoru Abe, Kenji Mori, Seiichi Nakamura, Masahiko Togashi, Akira Sakata firent entendre leur différence, leur irréductibilité aux codes du jazz d’importation…
Je connaissais peu de femmes saxophonistes au Japon : Ryoko Ono, free-sax furieuse entendue avec Homei Yanagawa, Eichii Hayashi, Toshiji Mikawa, Heldon. Masayo Koketsu sans être nouvelle, aujourd’hui sort de son confinement japonais, commence à faire parler d’elle hors du Japon, rejoint à son tour la scène improvisée internationale. Relative Pitch sort ce premier album solo, et elle n’y reprend plus ses idoles cuivrées, aucune reprise de standards, juste sa musique, une longue improvisation au saxophone alto. Elle a quitté le théâtre du jazz pour extirper d’elle ce qui la meut, la tient debout, et l’emporte. Elle empoigne son sax, le mord, le pince, souffle et crache, gémit et maudit, joue et s’oublie. Petites morts des thèmes, maigres notes qui s’accrochent aux bruits du souffle, s’envolent et se dispersent dans un dripping sonore cuivré, un chorus éclaté.


Michel HENRITZI

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