WORLD IS A BLUES
KRISTOFF K.ROLL / AVEC JEAN-MICHEL ESPITALIER
MAZETO SQUARE ISBN9782380280180
Distribution : Autodistribution
2CD + LIVRE
Carole Rieussec et Jean-Kristoff Camps sont le duo Kristoff K.Roll. Deux noms que les lecteurs et lectrices de R&C connaissent depuis longtemps puisque l’une et l’autre participent à l’équipe rédactionnelle depuis de nombreuses années. Deux musiciens électroacousticiens qui ont compris depuis longtemps les pouvoirs du son enregistré, qu’il soit politique, social ou poétique. Deux artistes réellement et explicitement engagés dans la transformation de la vie quotidienne et qui, très vite, ont découvert ce qu’il y a de subversif dans l’amour et de positif dans le refus des contraintes. Deux artistes qui n’ont pas de cadavre dans la bouche et vont sur le motif même de la lutte, en dehors de l’isolation du studio. Car même si le compositeur de musique concrète est par définition engagé, dans cet aller et retour permanent entre le faire et l’entendre, entre les micros et les haut-parleurs, dans les métamorphoses infinies du son fixé, sortir du studio pour s’engager (je ne parle pas de militantisme) dans la vie sociale est hélas plus rare, et en tout cas moins connu, et surtout moins témoigné dans un retour musical.
World is a blues est un hommage aux exilé.e.s et fait participer les intéressé.e.s au projet artistique, écrivant et lisant des textes, enregistrés ou en direct.
World is a blues regroupe également les participations d’Anne Kawala, Patrice Soletti, Marc Siffert, Claire Bergerault, Daunik Lazro, Christian Pruvost et Touski.
World is a blues s’ouvre sur le son d’un train — le son plaque tournante de tous les sons —une évocation du voyage, de la fuite, ou d’un grand véhicule vers l’ailleurs…
World is a blues questionne la traduction, celle des témoignages, celle de la musique, celle de l’implication, et la façon de percevoir l’horreur et l’entendement d’un tel vécu. Le choix du blues, ou en tout cas de son interprétation, et du genre chanson, s’essaie à accorder un contenant et un contenu — récits de voyage qui remplacent les chants de travail aux champs — et à créer des liens historiques avec les esclaves africains arrivés de force aux Etats-Unis d’Amérique et pour qui déjà le train était le moyen de quitter le Sud rural pour le Nord industriel. C’est aussi une réelle prise de risques pour les deux auteurs qui se lancent dans le chant et l’instrumental, s’éloignant ainsi de leur pratiques habituelles. Et si comme le considére LeRoi Jones, le début du blues est un des débuts du Noir américain, World is a blues ne serait-il pas la musique de ces survivants, ces nouveaux esclaves d’un système occidental se protégeant au-delà de ses frontières, et préférant exploiter la misère plutôt que de la faire disparaître ?
A l’heure où le paysage national est monopolisé par les passages fulgurants du nouveau super héros Pouvoir d’Achat, qui de son regard cinglant transforme tout le monde en consommateur d’une production capitaliste destinée à disparaître aussitôt consommée, on se demande où pourrait être Pouvoir de Vivre. On en arrive même à le regretter un peu. On le cherche ici et là et je me demande si il n’est pas largement présent dans ce disque.
JÉRÔME NOETINGER