WWH 39
« Cette maison n’est pas la mienne »
Territorio doméstico et Susana Jiménez Carmona
Par Elena Biserna & Carole Rieussec
Graphisme et mise en ligne : Lionel Palun
wi watt’heure #39 présente un projet collaboratif de l’artiste et chercheuse Susana Jiménez Carmona avec Claudia Haisakayo, Flora Herrera, Iris Portillo, Juliana Guerrero, Maria Lilia Reboredo et Sara Alvarado de Territorio doméstico. Ce collectif féministe et métisse de femmes, pour la plupart travailleuses domestiques, lutte pour la réorganisation sociale du travail du soin. Leur collaboration a commencé en décembre 2019 avec un feuilleton radiophonique basé sur leurs expériences – Querían brazos y llegamos personas – sur une proposition du collectif et de la coopérative féministe Pandora mirabilia. Le confinement a arrêté ce projet mais c’est justement à partir de cette situation que esta no es mi casa a émergé. Comme Susana nous a écrit :
« nous cherchions des moyens de continuer à faire ensemble. C’est alors que certaines collègues de Territorio qui travaillaient comme domestiques et qui, par conséquent, étaient confinées sur leurs lieux de travail (avec tout ce que cela implique) ont commencé à partager avec moi des sons qu’elles enregistraient avec leurs téléphones portables. Et c’est de cette façon que esta no es mi casa a commencé à prendre forme, à partir des sons de ces maisons qu’elles prennent en charge mais qui ne sont pas les siennes. Notre façon de travailler a été de partager des enregistrements après avoir décidé ensemble à quoi faire attention à travers notre écoute. Avec les sons envoyés, je composais les captations en les modifiant le moins possible et en partageant les résultats afin d’échanger des impressions et des opinions entre nous toutes ».
Emergé du désir de continuer à échanger, à s’écouter et à « faire ensemble », le projet s’est ensuite développé en deux volets grâce à deux commandes qui ont permis de rémunérer le travail de toutes pour les projets Escucha postraumática et Electrodomésticas, la domesticidad de lxs múltiples agentes sonorxs au Reina Sofia de Madrid. Ainsi, le groupe a développé les deux compositions que nous écoutons sur wi watt’heure #39 : anti-ritornello et entornos electrodomésticos. Deux pièces qui explorent la notion de maison via les voix, les sons et les histoires des travailleuses de la reproduction sociale et du soin de la personne : ce travail surexploité, genré et souvent racisé qui, comme le dit Françoise Vergès, « est l’un des exemples les plus clairs de la manière dont fonctionne le capitalisme racial » (Vergès 2019, 119). Via ces voix et ces sons, le projet déconstruit « un des principes fondamentaux du nettoyage : il doit rester invisible. Par cette invisibilisation, la personne chargée du nettoyage disparaît non seulement de l’écran social, mais la violence et le mépris à l’encontre de son travail se voient légitimés » (Vergès 2019, 122-23). Ainsi, esta no es mi casa réaffirme avec force la dignité du travail domestique et ménager tout en critiquant les racines structurelles de cette invisibilisation permanente.
Références
Françoise Vergès, Un féminisme décolonial (Paris : La Fabrique, 2019).
Image : Susana Jiménez Carmona
Pour aller plus loin :
Querían brazos y llegamos personas : yllegaronpersonas.org/
Susana Jiménez Carmona : https://susanajimenezcarmona.net/
Territorio domestico : https://www.facebook.com/territoriodomestico/
Pandora Mirabilia : https://www.pandoramirabilia.net/
Escucha postraumática : https://www.museoreinasofia.es/content/escucha-postraumatica
Electrodomésticas, la domesticidad de lxs múltiples agentes sonorxs : https://www.museoreinasofia.es/actividades/electrodomesticas