TRANS-MILLENIA CONSORT
PAULINE ANNA STROM
RERVNG RERVNG10
CD
« Je ne me souviens que de l’avenir », écrivait Andreï Tarkovski dans le script de Nostalghia.
La musique de Pauline Anna-Strom pourrait nous rappeler à d’autres méditations paradoxales sur la musique : plus une forme se rapproche du silence, plus elle contient; moins elle dit, plus elle force l’écoute; moins elle change et plus sa durée semble s’allonger. De possibles paradoxes qui demeurent éloignés de tout principe, tant l’intensité de l’expérience qui les fonde est aussi rare que précieuse.
Les pièces de ce disque ont été publiées entre 1982 et 1988 sur le label de Pauline Anna-Strom, Trans-Millenia Consort. La musicienne est alors installée sur la côte ouest américaine. Elle est méconnue. Ses disques se vendent de manière confidentielle. L’arrêt de son label en 1988 et de sa propre pratique semblent conjoints. Elle demeurera relativement méconnue.
Tentons une écoute affranchie d’une époque et de ses codes. Laissons de côté plusieurs adjectifs : planant, cosmique, atmosphérique, mystique… Reprenons là où Klaus Schulze, l’une des influences importantes de la musicienne, nous emportait vers de lointains horizons. On comprend dès la première l’écoute que P A-S dessine une musique différente, comme à portée d’écoute, dans un voyage intime réduit à quelques lignes rythmiques, quelques harmonies, quelques notes à la répétition fragile et au devenir imperceptible. Les morceaux n’excèdent que très rarement les huit minutes; certains bien disjoints semblent se réunir à l’écoute. N’étaient-ils qu’un à l’origine ?
Dans le livret qui accompagne le disque est rapportée l’histoire de la musicienne. Elle évoque cette période de création intense et toutes les nuits passées face à des synthétiseurs à retrouver le chemin noueux des harmonies, à sculpter du bout des doigts la matière en éclats, des nuits à saisir les envols et à défier l’opacité du noir.
Peut-être que P A-S nous renvoie à un autre paradoxe encore, celui du pouvoir du son à générer des images en faisant de nous des non-voyants, abandonnés à notre écoute, aux confins d’une matière aux principes fantômes.
Et puis ces mots de P A-S : « J’ai toujours été davantage en contact avec le passé qu’avec le présent. J’entends par là un passé lointain. Par exemple en composant la pièce « Rain On Ancient Quays », j’imaginais le pont d’Alexandrie, il y a des siècles et des siècles, la manière dont l’eau venait se perdre sur la rive; Comme au bord du Lac Pontcharian, où j’ai grandi ».
De l’expérience primordiale de ce lac touchant la Nouvelle-Orléans, comme de tant d’autres, Pauline Anna-Storm, aveugle de naissance, a visiblement conservé de multiples traces sensorielles, des odeurs, des sons, des états d’âme. Ce disque nous mène au coeur de ce flottement d’images et de voix suspendues, que l’air agité par les ondes nous rapporte parfois en vibrant.
BENJAMIN LAURENT AMAN