EYE OF NEWT
QUEIXAS est le trio réunissant Cyril Bondi au tom basse et objets, Abdul MOIMÊME avec son système de deux guitares préparées, et D’Incise au laptop et objets. Un enregistrement à Lisbonne en 2012 sur le label suisse Insubordinations. J’avais découvert leur travail il y a un peu plus d’un an à travers les disques solo de D’incise « Léthargie et autres animaux rugueux » et le sextet « Brume » (avec aussi Abdul MOIMÊME) sur Creatives Sources (voir chroniques web de mars 2012). Relativement enjoué et séduit par ces deux disques, j’écrivais à l’époque à propos de « Brume » : « Véritable socle de leur travail en collectif, cette lenteur se fait évidemment méditative, mais aussi très dansante, ondulante ». Ces superlatifs sont encore plus forts sur « EYE OF NEWT ». Un voyage déroutant, délicieusement statique, sur la brèche. Insolent de fraicheur, de simplicité, d’une méticulosité incroyable. Les sons métalliques peignent un univers joyeusement tendu, une tension concrète positive, forcément industrielle. Quelques bulles de basses au laptop éclatent avec parcimonie et donnent du corps à ces trois pièces absolument incroyables, au croisement entre la scène américaine noise qui se met au ralenti comme Emeralds, et les improvisations européennes comme on a pu l’entendre récemment sur le non moins superbe duo Jassem Hindi et Axel Dörner sur Corvo Records. Et pas si loin non plus du tout près Ghost Time en moins « massif » et donc plus subtil (voir plus haut). Tout comme Kasper T Toeplitz dans son « Ring Modulation 8 / La masse et le dépouillement » en fin de notre version papier en cours, notre numéro 95, je suis assez bluffé par ces artistes désormais loin d’être émergents, ces artistes qui avancent et ne cessent de nous offrir de vraies propositions frissonnantes.Abdul MOIMÊME travaille donc sur deux guitares préparées. Sept pièces solo pour plusieurs guitares composent ce « Mekhaanu », une Les Paul à l’intérieur d’un piano, une Fender stratocaster, et une guitare faite maison. Nous ne sommes pas loin des paysages du solo d’Anthony Taillard sur Drone Sweet Drone. Ce même attrait pour la six cordes. Que dis-je, une dévotion. Nous sommes un peu aussi dans l’installation puisqu’il joue sur deux amplis et un pré-ampli. Glissandi sifflants, fréquences étendues, respirations et traitement du silence et des séquences en va-et-vient proche d’Oren Ambarchi. Un surplace monté comme une mécanique bien huilée. Qui s’évade vers un mur gentiment bruitiste et pimenté sur (justement) « Mécanisme II ». Sur une tôle qui claque mais ne cède pas. Même lorsqu’une des guitares s’affole et semble jouée plus qu’être préparée. On ne sait plus très bien là et c’est tant mieux. Plus le disque avance d’ailleurs plus cette agréable confusion s’opère. Un disque attrayant…Et un autre quasi essentiel. Belle pioche.
CYRILLE LANOË