ISTANBUL SPLIT / RESONATING UNIVERSES
COMPILATION
ISTANBUL SPLIT
HOCHSCHULE DER BILDENDEN KÜNSTESAAR
Distribution : Autodistribution
CD
En 2003, le label américain Locust Music éditait « Met Life, a walk through the bazaar » du compositeur turc Erdem HELVACIOGLU. Un enregistrement en deux parties. La première pièce était une captation sonore du bazar d’Istanbul, la seconde consistait en un remix plus électronique des mêmes sons. La présente compilation explore d’autres sons de la ville du Bosphore, reflétant le cosmopolitisme d’une cité entre Europe et Asie, entre chrétienté et islam, entre sons urbains conventionnels et d’autres plus typés, entre instruments de musique occidentaux et orientaux. Six propositions dont deux émanent d’un autre musicien turc, Cem Güney, les quatre autres intervenants étant d’origine allemande se retrouvent sur ce manifeste sonore. Parmi ceux-ci, deux noms souvent présents dans l’environnement sonore et musical des lecteurs de R&C, Marc Behrens et Christina Kubisch.
Au départ trompettiste de jazz, influencé par Miles Davis, puis DJ, Cem Güney s’est mis tardivement à l’art sonore, tout en s’intéressant aux musiques électroniques expérimentales, comme en témoigne son opus, « Praxis » réalisé pour le compte du label portugais Cronica Electronica. Sans être le maître d’œuvre de cet « Istanbul Split » (c’est bien sûr l’HBK de la Sarre) il en est le guide pour avoir obtenu l’autorisation de captages sonores dans des quartiers moins touristiques. Lui-même se focalise sur le marché aux poissons, avec ses ambiances, ses sons parasites venant des ferries croisant non loin de là, et sur un quartier décrépi caractérisé par ses blanchisseries « suspendues ». Christina Kubisch de son côté, abandonnant sa pratique d’apporter des sons dans un lieu par ses installations ou d’en limiter le captage aux ondes magnétiques s’est emparée de divers sons, issus de divers endroits et provenant de diverses personnes (un piano dans une église catholique, des manifestants anti-impérialistes, la voix d’un muezzin, celles d’enfants dans un programme télé…). Marc Behrens quant à lui recherche l’extase propre à un pratiquant musulman à travers la conjugaison de sonorités provenant du travail des artisans et de celles captées dans les stalles à chevaux de Büyükada. Alexandra von Bassen (ancienne élève de Christina Kubisch s’attache plus particulièrement au côté asiatique de la cité, tandis que Stefan Zintel offre une écoute plus panoramique d’Istanbul. A l’instar d’autres réalisations, Istanbul Split est une invitation inspirée et loin des clichés à un voyage dans une ville attrayante.
De son côté, Erdem HELVACIOGLU est l’auteur d’un enregistrement qui met en jeu l’électronique et les cordes. Déjà en 2006 était paru « altered realities »* où lui-même confrontait sa pratique de la guitare acoustique à l’électronique. Il récidive ici avec la harpe, sous diverses formes (harpe concertante, harpe traditionnelle turque, le çeng, aux sonorités métalliques et harpe électrique), servie ici par Sirin Pancaroglu. Si « altered realities » s’inscrivait dans un registre plutôt minimaliste et quelque peu ambiant, « resonating universes » est plus expérimental par son côté parfois bruitiste, et ses déflagrations sonores. Les relations entre les deux sources sonores sont en effet multiples. Les sons des harpes peuvent être enregistrés en amont (avec des micros posés à divers endroits de l’instrument), puis utilisés comme échantillonnages. Des effets de drones et des réverbérations parcourent certaines parties de l’œuvre (déclinée en 8 segments). L’ensemble de l’œuvre tire sa substance aussi bien dans la manipulation des cordes des instruments par Sirin Pancaroglu (frottements, glissements, arpèges) que par la variété des traitements, parfois juxtaposés, que le compositeur applique au son des cordes. Jamais uniformes, les huit parties de l’œuvre alternent les moments de quiétude (surtout la troisième) et les distorsions, lesquelles sont peut-être surprenant mais toujours liées à une construction qui sous-tend leurs manifestations.
*New Albion NA131
PIERRE DURR