SOMETHING LIKE SEEING IN THE DARK (THE VOICE AS AN IRREGULAR SOUND GENERATOR)

LEIF ELGGREN

FIREWORK EDITION FIREWORK EDITION 118

Distribution : Firework Edition

LIVRE

C’est peut-être en ayant fait de lui-même sa plus grande énigme que Leif Elggren continue à produire une oeuvre aussi prolifique et fragmentée. Une seule chose ne semble pouvoir en assurer l’unité : Leif Elggren lui-même. 
Et depuis la psychanalyse, on sait à quel point l’histoire que l’on écrit avec soi-même est loin d’être une ligne droite et continue. Quand Elggren écrit, il y a toujours cachés quelque part sa mère, son père, omniprésent, toujours ce même traître (‘my mother was a lunatic and my father was a betrayer’), il y a des boites de conserves vides, découpées en couronnes et jetées chaque soir sous le lit, il y a le lit et sous le lit surtout, il y a la reine et puis le roi… Avec Genealogy, paru en 2007, Elggren se livrait déjà à une archéologie intérieure, un carottage mental, et c’est précisément en faisant de soi-même son propre objet d’étude que toute unité se retrouve vouée à une forme d’ échec programmé. Impossible de bouger sans faire bouger son ombre quand toujours autour, dans un sifflement imperceptible, une voix vous rappelle à vous-même. 

Something Like Seeing In the Dark est la dernière parution du suédois, sous la forme concise d’un recueil de notes et de questions irrésolues, dans un style elliptique, presque acméiste par moments. Chaque phrase comme autant de lueurs, tente de décrire ce qui ne se voit pas mais qui taraude autour. Genealogy était un livre plus dense car d’avantage une compilation de textes accumulés au fil des années, ici le rythme est plus bref, la strophe réduite au plus simple, la voix presque palpable et le silence omniprésent. La forme est proche de celle d’un journal non daté où le silence et la voix se perturbent mutuellement et véhiculent au fil des pages une sorte d’ énergie continue. Le journal possède sur toute autre tentative de classement, cet énorme avantage, que le passage des jours suffit à l’ordonner. Et à l’horizon de cette cinquantaine de pages se profile toujours une même inquiétude, une même obsession pour le secret, comme une présence parasite de multiples fantômes, dont les voix résonnantes décideraient à elles seules du chemin à poursuivre.

Le recueil s’éteint brutalement sur un feuillet de plusieurs pages entièrement noires. Something Like Seeing In the Dark fut également le titre d’une exposition de Leif Elggren et John Duncan présentée à la galerie Niklas Belenius à Stockholm en octobre 2007.

BENJAMIN LAURENT AMAN

Vous aimerez aussi...